Dimanche 15 juin 2025
La plus grande difficulté qui réside dans une lettre, ce n’est jamais le contenu, c’est le premier mot, la première phrase, car à l’ouverture du rideau, lorsque le regard se pose sur celle-ci, il convient de lui accorder une attention particulière afin de le retenir. C’est une mise en abyme devant laquelle chacun se dévoile afin d’être au plus près de son intrinsèque nature, de sa fragilité…
Ainsi, c’est à toi que j’adresse cette lettre particulière et différente des précédentes. Parce qu’il est important de dire les belles choses de la vie, qu’il est des mots à ne jamais retenir, afin, plus tard, plus tard, de ne pas murmurer des regrets de paroles retenues…
Tu ne me connais pas, je ne te connais pas, mais maman, parfois, me parle de toi, un peu, de ta manière d’être, de ta différence et de ton rapport au monde. J’essaie de t’imaginer dans tes études, l’une dans sa chambre d’étudiante loin de la maison, l’autre dans sa chambre à la maison. Chacune dans son monde, dans son univers. Peut-être es-tu, à ta manière, connectée au monde extérieur avec ton smartphone, comme tes camarades de classe, tes amies, peut-être différemment…
J’avais dans l’idée de t’écrire une lettre intemporelle que tu pourrais lire un jour, bientôt, plus tard, dans quelques années, une lettre qui serait toujours actuelle, une lettre qui ne se démoderait jamais… Quelques mots que j’aurais commencé à écrire au milieu de la nuit, peu avant la fin du printemps de l’année 2025 parce que nous avons parlé de vous deux avec maman ce même soir.
Je serais tenté de te dire que, se sentir différent du monde qui nous entoure, qu’être un enfant particulier, c’est précieux, c’est rare, car cela nous permet de l’observer avec une singularité qui ne s’éteint jamais. J’ai cinq décennies de vie et j’aime toujours autant cette intrinsèque différence qui me compose et me permet de le percevoir avec autant de curiosité que lorsque j’étais encore un enfant particulier. La liberté d’être différent, c’est vivre tous les matins du monde, tous les jours, ainsi, je serais encore tenté de te recommander de rester libre à jamais, de toujours privilégier ta liberté, d’être ce que tu es intrinsèquement en n’accordant au regard des autres uniquement ce qu’il est : un regard étranger, un regard d’inconnu. Nous avons tous des rêves, j’en ai, maman également, toi aussi…
J’en ai réalisé quelques-uns, je continue, régulièrement et j’envisage encore d’en réaliser plus tard, peut-être demain ou après-demain, uniquement parce que je ne vis pas dans le regard des autres.
« Le regard des autres existera toujours et le prendre en compte, c’est confier son bonheur à des inconnus. »
Ce mantra, j’essaie de l’appliquer à ma vie de tous les jours…
Une rencontre avec une personne qui nous ressemble différemment, et qui pourtant nous est si proche, ce n’est jamais le hasard de la vie, ça arrive un jour, on ne s’y attend pas, jamais, et parfois, on se dit que c’est impossible, mais cela arrive toujours lorsque l’on a appris à accepter de ne jamais renoncer et c’est ce que je te souhaite. De laisser le renoncement à la porte de ton univers, aux gens raisonnables, à ceux qui rêvent uniquement avec la vie des autres, de l’abandonner sur le quai et de continuer ton voyage sur l’océan de la vie.
Je n’essaie pas de te dispenser une leçon de vie, je ne veux pas prétendre t’apprendre quoi que ce soit, seulement t’exprimer quelque chose qui pourrait éventuellement être un écho quelque part dans ton univers, aujourd’hui, demain, plus tard, lorsque tu chercheras ton chemin sur ton océan de la vie. Celui que tu ne partages avec personne d’autre que toi-même.
C’est toujours compliqué d’écrire à une personne que l’on ne connait pas, c’est même un peu bizarre, mais ce n’est jamais le messager qui importe dans l’histoire de la vie, c’est le message, sinon quelques mots de celui-ci.
On se croisera peut-être plus tard, et peut-être que chacun de nous trouvera l’autre un peu étrange, et peut-être que ça fait beaucoup de peut-être…
Et encore une fois, peut-être que cette lettre, tu ne la liras jamais, sinon plus tard, un jour, par hasard après l’avoir oublié dans un tiroir et l’avoir retrouvé comme un souvenir après être devenue une adulte, une mère. Et pourquoi pas après l’avoir découverte dans une boîte en carton sur une étagère à chapeaux…
Je ne voulais pas, avec cette lettre, être trop long, trop ennuyeux, trop professoral, peut-être suis-je déjà tout cela à la fois.
Peut-être,
Je déteste ce mot, j’aime les oui, les non, le chocolat et la confiture de framboises.
Mais un « peut-être » c’est également la possibilité de s’accorder un choix différent et la différence, c’est la liberté de l’être…
Ce choix différent, je l’ai embrassé, il y a longtemps, très longtemps et depuis je suis devenu libre. La liberté n’est jamais le chemin le plus facile, mais c’est indéniablement le plus enrichissant et lorsque je me souviens, je suis heureux de m’être dit « peut-être », même si je n’aime pas ce mot…
Cette lettre, je te la destine à toi, à ta sœur, à maman, mais également à tous les enfants particuliers, à tous les parents qui apprennent la liberté à leurs enfants, la liberté d’être différent.
Être parent, c’est difficile, tous les jours, toutes les nuits et cela dure toute la vie. Pour apprendre à être parent, il n’existe pas d’autre école que celle de la vie. Chacun essaie de faire de son mieux et c’est dur, et parfois, certains parents échouent à offrir le minimum, à aimer, à prendre soin, à apprendre la vie, la liberté… Il n’y a jamais de mauvais parents, uniquement des parents qui n’étaient pas prêts, qui ne savaient pas, qui n’auraient pas dû l’être, c’est comme ça, c’est la vie…
Il faut apprendre à pardonner, à ses parents, aux autres, à soi-même, même si avant de réussir, cela dure parfois toute la vie. Et lorsqu’au soir de son existence, on ne parvient pas toujours pas à pardonner, cela n’a aucune importance, car un apprentissage n’est jamais couronné de succès, même lorsqu’il est sincère. L’apprentissage, c’est le principe même de la vie. Parfois on réussit et parfois on échoue.
Être enfant, c’est difficile, tous les jours, toutes les nuits cela dure toute la vie.
Pour apprendre à être un enfant, il n’existe pas d’autre école que celle de la vie. S’émerveiller, jouer, rire, sourire, rêver, lire, construire des châteaux de sable, fabriquer des tentes entre deux chaises dans le salon, dans la chambre, dessiner, inventer des personnages, tremper son doigt dans le pot de confiture, dans plusieurs pots de confiture, observer les fourmis, le vol des oiseaux, les chats, les chauves-souris au milieu de la nuit, dire non, faire un câlin, puis un autre, dire je t’aime en ouvrant les bras, grimper aux arbres, courir, apprendre à faire ses lacets, boire du chocolat chaud, observer le monde extérieur sans quitter le sien, être tel un papillon,…
Cela dure toute la vie et parfois on devient parent, et alors peut-être que tu découvriras cette lettre et que tu te souviendra que tu avais des rêves rangés dans une boite en carton sur l’étagère à chapeaux sur laquelle, il n’y a plus de chapeaux, seulement des cartons avec des vieilles photographies qui auront immortalisé ta vie d’enfant, tes premiers pas, tes gâteaux d’anniversaire et tant d’autres souvenirs que tu avais oubliés, des rêves également que tu pourrais, peut-être, réaliser…
Post-scriptum,
J’ai hésité, longtemps, avant de dévoiler cette lettre, je l’ai conservée et j’ai attendu. Elle est à la fois personnelle, pour toi, pour ta sœur, et aussi destinée aux parents, aux enfants particuliers, aux enfants sauvages, aux prochaines générations, parce qu’un jour, je ne serai plus là, parce que je ne veux pas regretter de ne pas avoir osé te l’écrire, parce qu’il est des enfants qui seront peut-être devenus des parents, parce que toi aussi, tu seras, peut-être parent…
Si tu aimes les « peut-être », essaie de goûter la confiture de framboises, tu verras, c’est bien aussi… et avec les doigts, c’est encore meilleur…
Si tu n’aimes pas les « peut-être », c’est bien aussi, même si parfois cela permet de prendre une décision importante, de faire un choix différent et de goûter à la liberté.
Bien à toi,
Nicolas
Une lettre à Petruška ne devant plus se refermer sans le passage de mes livres lus au cours de la semaine.
L’enfant qui ne pleurait pas
Torey L. HAYDEN
Édition J’ai lu
Dépôt légal avril 1987
Épilogue
Il y a un an, je reçus au courrier une page de carnet chiffonnée, tachée de gouttes d’eau, écrite au feutre bleu. Aucune lettre ne l’accompagnait.
A Torey
Avec tout mon « amour »
Tous les autres sont venus
Il ont essayé de me faire rire
Ils ont joués avec moi
Parfois pour rire et parfois pour de bon
Et puis ils sont partis
En m’abandonnant dans les ruines de leurs jeux
Et je ne savais plus lesquelles étaient pour de bon et lesquelles pour rire et
Je me suis retrouvé seule
avec les échos de rires
qui n’étaient pas les miens.
Et puis tu es venue
Avec tes drôles de manières
pas tout à fait humaines
Et u m’as fait pleurer
Et cela ne semblait pas avoir d’importance
Tu m’as dit qu’il n’était plus temps
De jouer
Et tu as attendu
Que mes larmes se changent en
Joie.
Lu et déposé dans un tiroir de mon bureau le 12 juin 2025
Ce livre est un témoignage réel de son expérience d’enseignante dans une classe composée d’enfants particuliers. Sheila l’était à sa façon. Elle avait six ans lorsqu’elle à intégré la classe de Torey.
Un passage résume à lui seul, la relation particulière qui unissait Sheila et Torey.
– Viens jouer avec moi, lui proposa le petit prince, je suis tellement triste…
– Je ne puis pas jouer avec toi, dit le renard. Je ne suis pas apprivoisé.
– Ah ! Pardon, fit le petit prince.
Mais, après réflexion, il ajouta :
– Qu’est-ce que signifie « apprivoiser » ?
…
– Que faut-il faire ? dit le petit prince.
– Il faut être très patient, répondit le renard. Tu t’assoiras d’abord un peu loin de moi, comma ça, dans l’herbe. Je te regarderai du coin de l’œil et tu ne diras rien. Le langage est source de malentendus. Mais chaque jour, tu pourras t’assoir un peu plus près…
Sheila posa la main sur la page.
– Relis-moi ça, tu veux bien ?
Je lus de nouveau le passage. Elle se tordit sur mes genoux pour me dévisager et pendant un long moment m’emprisonna dans son regard.
– C’est être ce que tu fais, hein ?
– Qu’est-ce que tu veux dire ?
– C’est ce que tu fais avec moi un jour, hein ? M’apprivoiser.
Je lui souris.
– Je être exactement comme le livre raconte, tu te rappelles ? j’ai si peur et je me cache dans le gymnase, et tu viens et tu t’assois par terre. Tu te rappelles ? Et je fais dans ma culotte, tu sais ? J’ai si peur. Je crois que tu vas me battre parce que je fais tellement de bêtises ce jour-là. Mais toi, tu t’assois par terre. Et tu viens plus près, toujours plus près de moi. Tu m’apprivoisais, hein ?
Je souris, décontenancée.
– Oui, oui, peut-être.
– Tu m’apprivoises. Comme le petit prince apprivoise le renard. C’est exactement comme ça. Et maintenant, je être unique pour toi, hein ? Comme le renard.
– Oui, tu es tout à fait unique, Sheil.
Elle se retourna, sa carra de nouveau sur mes cuisses.
– Continue.
– Les hommes ont oubliés cette vérité, dit le renard. Mais tu ne dois pas l’oublier. Tu deviens responsable pour toujours de ce que tu as apprivoisé. Tu es responsable de ta rose…
– Je suis responsable de ma rose… répéta le petit prince, afin de se souvenir.
Sheila glissa à mes pieds et se mit à genoux pour pouvoir me regarder dans les yeux.
-Tu es ‘sponsable de moi. Tu m’apprivoises, alors maintenant, tu être ‘sponsable de moi.
La cantatrice chauve (Pièce de théâtre)
Eugène IONESCO
Édition Gallimard
Dépôt légal : janvier 2005
Fin de la page 75 et page suivante
Le pompier. – « Le Rhume » : Mon beau-frère avait; du côté paternel, un cousin germain dont un oncle maternel avait un beau-père dont le grand-père paternel avait épousé en secondes noces une jeune indigène dont le frère avait rencontré dans l’un de ses voyages, une fille dont il s’était épris et avec laquelle il eut un fils qui se maria avec une pharmacienne intrépide qui n’était autre que la nièce d’un quartier-maître inconnu de la Marine britannique et dont le père adoptif avait une tante parlant couramment l’espagnol et qui était, peut-être une des petites-filles d’un ingénieur, mort jeune, petit-fils lui-même d’un propriétaire de vignes dont on tirait un vin médiocre, mais qui avait un petit-cousin, casanier adjudant, dont le fils avait épousé une bien jolie jeune femme, divorcée, dont le premier mari était le fils d’un sincère patriote qui avait su élever dans le désir de faire fortune une de ses filles qui put se marier avec un chasseur qui avait connu Rothschild et dont le frère, après avoir changé plusieurs fois de métier, se maria et eut une fille dont le bisaïeul , chétif, portait des lunettes que lui avait données un sien cousin, beau-frère d’un Portugais, fils naturel d’un meunier, pas trop pauvre, dont le frère de lait avait pris pour femme la fille d’un ancien médecin de campagne, lui-même frère de lait du fils d’une laitier, lui-même fils naturel d’une autre médecin de campagne, marié trois fois de suite dont la troisième femme…
Lu et déposé dans un tiroir de mon bureau le 13 juin 2025
L’Âme et la Vie
C. G. JUNG
Édition Le livre de poche
ISBN : 978-2-253-06434-3
Page 50
Si l’homme à réussi, grâce à la faible clarté qui peut l’éclairer à un moment donné, à élaborer le monument du monde, qu’elle vue divine devrait s’ouvrir à ses yeux, pour lui révéler lumineusement et instantanément tout l’ensemble !
Une lettre à Petruška ne devant plus se refermer sans une citation personnelle qui vaut parfois mille mots.
La bienveillance, c’est être un aidant occasionnel pour les p’tits vieux qui ont besoin d’aide afin d’emprunter un escalier incliné à marches horizontales verticalement descendant sans mouvement poussatoire dorsal.



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