Dimanche 27 avril 2025
Le récit de ces enfants sauvages dont le voyage est désormais en cours pour quelques semaines encore ne devrait pas être un obstacle, à ce qui s’impose lorsque l’on ne s’y attend pas, au risque d’abandonner ces réflexions définitivement, aussi, je t’en faire part pour celle qui me taraude en ce moment avant de la déposer dans l’oubli de ma mémoire. Également pour avoir ton avis sur celle-ci.
L’avènement de la télévision dans la quasi-totalité des foyers, d’Internet et plus récemment des smartphones semblent faire progresser le déclin du goût de la lecture au profit du sloganisme et de l’image sous toutes ses formes, et cela me désole de plus en plus. La lecture n’a pourtant jamais été autant accessible depuis le développement et la popularisation des boîtes à livres qui dépassent les 10 000 unités sur le territoire et la France m’a toujours semblé être un grand pays de lecteurs et d’écrivains de talents avec dans ce dernier terme, l’intégration des philosophes, des sociologues, des historiens, et d’autres ; en somme des hommes de lettres.
La littérature, c’est pourtant, me semble-t-il, de la culture à l’état brut, le lieu de la liberté d’expression par excellence, un emblème débarrassé des poncifs, du politiquement correct, des slogans, de la simplicité. L’expression peut prendre le temps de s’étirer en longueur, développer des idées jusqu’aux extrêmes limites de l’imaginable, voire au-delà. Toute la complexité des sentiments, du raisonnement, de la pensée peut ainsi s’entremêler sur des centaines de pages. Je conviens que cela demande un minimum d’effort, de concentration, d’ascèse, mais le résultat est infiniment plus dense et plus riche en ce que l’on se forge d’avantage l’esprit à chaque nouvel ouvrage que par l’abrutissement d’une attention prisonnière de l’image.
La vie quotidienne que chacun mène peut, parfois, sembler être une fenêtre sur la société dont nous faisons partie et à laquelle, on prête nos idées et nos impressions accentuant ainsi nos préjugés et il me vient de plus en plus fréquemment à l’esprit que la lecture classique des livres en papier est en perdition, que la modernité se satisfait désormais de bouillie intellectuelle Youtubesque instagramée d’influenceurs multi-genrés, non-genrés, politisés, en quête de notoriété auprès des masses.
Le nombre d’ouvrages se trouvant dans des boîtes à livres au gré de mes errances urbaines est parfois effrayant, et j’en récupère presque tous les jours afin d’achalander ma petite bibliothèque qui s’étoffe sans fin, car oui, elle s’agrandit perpétuellement avec plus d’ouvrages que je ne peux en dévorer chaque semaine et ce n’est pas avec trois heures quotidienne minimum que je vais parvenir à inverser la tendance, mais qu’importe…
NB : Je ne considère pas les magazines peoples, de loisirs, les bandes dessinées et mangas comme des livres et pas davantage les « livres électroniques. »
Je conviens qu’il aurait été de bon ton de développer cette réflexion, plutôt que de l’abandonner en un fouillis cérébral et sans doute reviendrais-je dessus plus tard pour lui accorder tout le temps nécessaire, mais j’ai manqué de temps cette semaine pour approfondir le sujet en ce que j’ai passé un temps considérable à la lecture de livres en papier.
L’enfant du tonnerre
Depuis les aubes lointaines de l’histoire humaine, depuis les prémices de l’humanité elle-même, il s’est toujours trouvé des enfants sauvages, des âmes errantes, égarées qui, farouchement, résistaient à toute intégration dans les sociétés, les tribus, les clans, jusque dans les familles et les fratries. Considérés comme des parias dès le berceau, au premier souffle de leur existence comme des étrangers au sein de leur propre communauté, ces êtres particuliers à l’altérité si profonde suscitaient toujours plus de frayeur que de compassion, mais sans que la frontière infranchissable du silence qui les enveloppait soit perçue comme un quelconque danger.
Au sein des peuples primitifs, leur présence engendrait fréquemment une terreur indicible et silencieuse pour qui croisaient leur regard par mégarde, par insouciance, et malgré cette peur primale, jamais quiconque n’aurait songé à les abandonner ou à leur infliger un sort funeste, tant la sacralité de chaque vie était respectée jusqu’à l’âge adulte. Physiquement présents, ils voyageaient en marge de la réalité humaine et de ses préoccupations premières, rappelant à chacun que leur existence n’était qu’un fragile équilibre que les ailes du vent, sinon qu’un murmure de la terre emporterait un jour, plus tard, mais avec une certitude absolue. Cet enfant ne ferait pas exception à la loi universelle de l’impermanence. Leur présence silencieuse, grave, austère, leur regard, empreint d’une insaisissable lueur, observait la primitivité des hommes avec détachement, intransigeance en raison d’une appartenance à une tout autre humanité, rappelant sans un mot, combien le tissu social reposait sur des conventions fragiles, et que ces dernières pouvaient sans heurts visibles, se fragiliser au contact de l’inconnu.
Parmi l’une de ces communautés se trouvait l’un de ceux dont l’obéissance aux aînés n’était qu’une représentation sans fondation, une acceptation aussi lointaine que les étoiles dans le firmament. Sa nature impassible et parfois bienveillante se muait en un bellicisme qu’il portait dans l’intensité de son regard uniquement, mais pleinement présent lorsque l’odeur de la terre humide réveillait et emplissait l’atmosphère. Émanait alors de cet être encore à l’âge d’enfant, une vie non physique en présence d’une déclinaison de la lumière laissant présager un séisme nuageux, accompagné de césures lumineuses et d’épouvantables fracas, chacun redoutant ce déchirement incompréhensible du monde que des forces inconnues s’acharnaient à provoquer sans avertissement. Redouté par tous sauf pour celui qui en ressentait, un inextinguible plaisir, semblait le réconforter et en nourrissait une joie irrépressible. Une communion s’établissait alors, un dialogue prenait vie entre les éléments de la nature et ce fragile humain qui, de sa voix si rarement entendue, se faisait ardente et impérieuse dans un langage inconnu de tous. Seul, debout sous une pluie torrentielle, battue par des vents hurleurs, ne craignant ni les éclairs, ni le vacarme assourdissant du tonnerre, il faisait face, non par courage, mais par nécessité de se nourrir et d’apprendre de ce tumulte céleste, de ses oscillations et de ses déchirures. Une conversation obscure et insondable qui le plongeait dans un état de transe extatique jusqu’à ce que la violence du déchirement du ciel se dissipe progressivement, que le calme réapparaisse, en lui également. Le silence des cieux revenus, il regagnait son mutisme dans l’attente d’un nouvel échange avec son élément primaire, sa particule élémentaire.
À mesure que cet enfant se rapprochait de la frontière qui le séparait de la tradition rituelle qui l’établirait en tant qu’homme au sein de son clan, il progressait également toujours plus loin dans les limbes de sa conscience et des siens. Un éloignement les condamnant à l’exil d’un monde qu’il ne pouvait qu’explorer seul et qui lui était une issue indispensable. Un voyage perpétuel dans les méandres de son esprit s’accomplissait inexorablement pour une destination toujours plus éloignée entre la beauté sauvage de son intrinsèque nature et son inéluctable éloignement de sa communauté d’origine.
Des bribes d’anciennes légendes réapparaissaient progressivement au fil de son apprentissage dans l’esprit des plus âgés qui, autrefois, les avaient tus, dont ils avaient privilégié l’ensevelissement. Cet enfant, cet adulte en devenir, ce membre de la communauté des hommes dont le voile de l’humanité se dessinait sur son visage avait depuis sa conception une autre voie à suivre que celle de sa tribu de naissance. De sa présence chaque jour plus redoutée, il était également une protection silencieuse contre l’un de ses semblables, un frère d’ombre que les nuits noires faisaient entendre par-delà, les plaines et les montagnes. Un être si différent de lui et pourtant si semblable, et que le terme de son enfance rapprochait par la distance et par le temps.
De l’initiation qui expulsait les enfants pour les muer en hommes, en chasseurs, en pourvoyeurs de la survie du clan, il en est un parmi eux qui manquerait à ce rite. Il serait l’épreuve elle-même, son incarnation physique, et c’est lors de l’une de ces nuits sans lune, par tempête, par fracas, par déchirure du ciel, qu’il s’évanouirait définitivement dans le souvenir des siens. Il guiderait les enfants en devenir en une chaîne humaine par-delà les frontières de la communauté afin que chacun affronte son courage, prouve sa valeur, accepte son sort en cas d’échec. De leur retour, les absents ne seraient pas nommés, ni pleurés, car seuls les vivants comptaient, seuls ils seraient célébrés. Ils étaient désormais de ceux qui comptaient, auxquels, on accorderait un nom.
De l’initiateur qu’était l’enfant du tonnerre, il se ferait entendre lors des fracas du ciel, mais sans persister dans le souvenir des membres de son antérieure communauté humaine se contentant de rejoindre quelques légendes gravées dans la pierre, dans l’esprit des plus âgés et qui seraient tus dans l’attente d’un successeur qui, plus tard viendrait le remplacer. Il était indissociable de l’enfant loup et dont il n’avait tenu qu’à sa particule élémentaire de lui valoir la vie sauve lorsque ce dernier avait rassemblé sa meute.
Ce texte, très court, n’est qu’une partie de sa légende. Il me revient de le compléter, mais le temps me manque toujours. Plus tard peut-être. Souhaitons qu’il ne soit jamais trop tard de remettre à plus tard, ce que le temps ne nous accorde pas immédiatement.
Une lettre à une Inconnue ne devant plus se refermer sans le passage de mes livres lus au cours de la semaine.
Le désert de l’amour
François MAURIAC de l’Académie Française
Le livre de poche
Dépôt légal n°1917, 4e trimestre 1961
Page 242
Cette Maria! Il fut stupéfait de ce qu’un être, sans le vouloir, puisse peser d’un tel poids dans le destin d’un autre être. Il n’avait jamais songé à ces vertus qui sortent de nous, travaillent souvent à notre insu et à de grandes distances, d’autres cœurs. Au long de ce trottoir, entre les Tuileries et la Seine, la douleur pour la première fois l’obligeait d’arrêter sa pensée sur ces choses à quoi il n’avait jamais réfléchi.
Lu et déposé dans un wagon de train le 23 avril 2025
Les grandes familles
Maurice DRUON
Le livre de poche
ISBN : 2-253-00614-9
Page 376
Si peu estimable qu’eût été Lulu tout au long de sa vie, cet homme qui possédait encore plusieurs millions en banque mais ne disposait d’autres biens réels que de quelques cailloux dans des bouts de papier, ce roi du jeu et des établissements de nuit qui était appelé grand-père par un ancien sergent de la coloniale, ce vieil homme qui confondait les vivants et les morts, mais avait tout de même conscience de la proximité de son trépas, ne pouvait qu’inspirer la compassion ; et Isabelle se rappela les paroles prononcées quelques instants plus tôt par le père Boudret.
Lu et déposé dans un wagon de train le 27 avril 2025
Quand la Chine s’éveillera…
Le monde tremblera
Alain PEYREFITTE
Édition France Loisirs
Dépôt légal d’impression 2e trimestre 1975
Fin de la page 370 et début de la page suivante.
2 – L’hécatombe
Pour le passé, comment oublier l’envers du décor ? Il a fallu un quart de siècle de guerre civile, et une terrible hécatombe avant, pendant et après la Libération, pour que triomphât le régime de Mao.
A combien peut-on évaluer ce sacrifice humain ?
« Plusieurs dizaines de millions d’hommes », nous a-t-on répondu chaque fois que nous avons posé la question.
Deux des étrangers qui ont suivi la révolution au plus près, Rewi Alley et Edgar Snow, sont formels : ils évaluent le bilan de la guerre civile* à une cinquantaine de millions de morts ; en incluant les pertes chinoises des deux côtés ; mais en excluant les victimes des Japonais et celles des famines.
*Ou plus exactement des deux guerres civiles de 1927-1936 et celle de 1946-1949, ainsi que les escarmouches qui marquèrent la trêve de 1937-1946.
Une lettre à une Inconnue ne devant plus se refermer sans une citation personnelle qui vaut parfois mille mots.
Une préparation d’un voyage sur l’océan de la vie, ça ne s’improvise pas comme le choix inconséquent d’une boîte de pâté et d’un paquet de chips accompagnés d’une bouteille de vinasse vinaigrée rosée.
Si tu as récupéré une enveloppe coquelicot, nous pourrons nous retrouver là où je t’attendrais désormais chaque Dominical Day avec un Caramel Macchiato Chantilly.
Table d’un Inconnu : Starbucks, 2 rue Victor Hugo, Lyon
Dimanche 04 mai 2025 : 10H30 – 14H30
Également disponible sur un banc de lecture : Place des Arts, Villefranche-sur-Saône entre 16H30 et 18H30 (sauf en cas d’averse ou de températures inférieure à 15°)
Lundi 05 mai 2025 – Mercredi 07 mai 2025 – Vendredi 09 mai 2025
Les lettres à une Inconnue évoluent également vers une rencontre mensuelle autour d’un Drunch végétarien sur le principe de l’auberge espagnole en une galerie d’art privée au sein de mon lieu de vie, au cœur du centre-ville de Villefranche-sur-Saône (Coordonnées disponibles sur simple demande)
Dès lors que nous nous serons rencontrés une première fois en l’un des lieux ci-dessus et aurons pris le temps d’une conversation, une place te sera réservée chaque mois.
Samedi 07 juin 2025 – 18H30
Nombre de lettres coquelicot disséminées depuis le 09 janvier 2025 : 350



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